Personne en charge du dossier de Francisco Leopoldo Zea López: Ana Pulido.
Résumé de l’affaire
Auteur: Rodrigo Mendoza
El 19 décembre de 2016
Traduction: Rodrigo Mendoza
Révision: David Bertet
1. Version des autorités
Leopoldo Zea Lopez fut arrêté à Aragon, suite à une dénonciation citoyenne qui signalait la présence d’une voiture garée « avec cinq personnes, une à l’intérieur et trois autres individus à l’extérieur (sic.) ». En voyant le véhicule de police arriver sur les lieux, les occupants se seraient enfuis, l’occupant à l’intérieur de la voiture restant seul sur place.
En descendant du véhicule de police, les agents Heliek Eli Navarro Morales et Gerardo Patatuchi Jong qui venaient d’arriver sur les lieux s’identifièrent comme policiers fédéraux et sommèrent l’occupant du véhicule de s’identifier à son tour. Francisco serait descendu de la voiture et aurait dit son nom. Tout de suite après, ils demandèrent de procéder à la révision du véhicule, à quoi Francisco obtempéra poliment. Toujours selon le rapport de police, les agents trouvèrent un sac noir contenant trente sachets de poudre blanche dans la poche droite de son pantalon, une arme longue placée sous le siège du copilote, et une carte où étaient marqués le nom et la description physique d’Armando Espinoza, commissaire de la Police Fédérale. Le rapport attribue à Francisco l’intention d’assassiner ledit commissaire.
Suite à la perquisition, Francisco L. Zea fut placé en détention pendant deux périodes, à la fin desquelles il fut transféré au Centre Fédéral de Réadaptation Sociale (CEFERESO) n. 4 de Tepic (Nayarit), accusé de délit contre la santé publique et de possession d’arme d’utilisation exclusive de l’armée. Les accusations initiales incluaient également deux délits d’enlèvement, avec quatre victimes dans chaque cas.
2. Version de Francisco Zea Lopez
Le 29 aout de 2009, aux environs de 7 heures du matin, au sortir de son travail de gérant de l’équipe de serveurs de la discothèque « La Casona », Francisco Leopoldo Zea Lopez fut intercepté par un nombre indéterminé d’individus lourdement armés et encagoulés, arrivés sur les lieux dans plusieurs automobiles et deux motocyclettes. Ceux-ci l’ont forcé à descendre de sa voiture et à monter dans l’une des leurs. Francisco demanda alors s’il s’agissait d’un enlèvement. L’unique réponse fut : « Nous sommes de la police ».
Francisco raconte avoir reçu dès le début de sa capture des coups de poing et de pied; il ajoute que ses ravisseurs lui ont recouvert le visage d’une serviette et forcé à avaler de l’eau. Ils lui ont aussi appliqué des décharges électriques dans les testicules. Ils lui plaçaient un sac en plastique sur la tête et le frappaient à l’estomac pour qu’il s’étouffât en essayant de respirer, et retiraient le sac avant qu’il ne perdît conscience. Francisco fut ensuite installé dans la voiture sur le siège avant, genoux serrés contre la boîte à gants pour l’empêcher de bouger. Jusqu’au moment d’être présenté à la SIEDO (Unité anti-enlèvement du Ministère Public), Francisco fut privé d’alimentation et de sommeil.
À son arrivée à SIEDO les policiers se mirent à parler de l’arme et de la drogue qui seraient placées dans la voiture de Francisco. Le rapport de police indique que 30 gr. de cocaïne ont été retrouvés. Toutefois, puisque seulement 3 gr. ont pu être « prouvés », cette accusation de « délit contre la santé publique » fut ultérieurement retirée.
3. Analyse des preuves présentées
a) Sur les circonstances de l’arrestation
Selon le rapport de police en date du 30 août 2009, le détenu fut mis à la disposition du Ministère Public à 15h40 la même journée. Cependant, une plainte présentée le jour précédent par les parents de Francisco indique que la détention de leur fils serait en fait survenue la veille, soit le 29 août. Il s’ensuit que le délai entre l’arrestation et la mise à disposition du détenu ne respecte pas les règles de procédure en cas de détention en flagrant délit. La famille de l’inculpé a parcouru en auto le trajet entre la boîte de nuit et la SIEDO, trajet qui fut supposément celui effectué par les policiers suite à la détention du prévenu : 10 minutes suffirent. Ce calcul fut accordé et ratifié par l’agent Patatuchi Jong à l’occasion du face-à-face avec la présumée victime en juillet 2014.
Des témoignages en faveur de l’accusé de la part de valets de parking qui travaillaient sur le site de la discothèque « La Casona », confirment les déclarations de Francisco Zea Lopez quant à la date, l’heure et le lieu de sa détention. Dans le même sens, le gérant de la discothèque ainsi que d’autres membres du personnel de l’établissement attestent la présence de Francisco dans la nuit du 28 au 29 août, de même que son absence la nuit suivante du 29 au 30, ce qui accroît la véracité de la thèse selon laquelle l’arrestation se serait le 29 août, et non le 30 comme le prétendent les agents qui procédèrent à la détention.
Le calcul fait à partir de l’information contenue dans les déclarations policières met en évidence que le temps écoulé entre l’arrestation et la mise à disposition s’avère en tous les cas injustifiable d’un point de vue juridique, car il indique une violation aux dispositions constitutionnelles conçues pour la protection des droits et libertés individuelles. De soi-même, la détention arbitraire de l’inculpé et sa disparition pendant de longues heures rendent sans effets les agissements ultérieurs de la police et jettent une ombre sur le traitement infligé à Francisco pendant le temps de sa disparition. Une série d’interventions postérieures mettra en évidence que l’intégrité physique et la dignité du prévenu ont été également violées.
b) Sur l’accusation de possession d’arme
Par ailleurs, Francisco Zea Lopez fut accusé de se trouver en possession d’une arme longue d’utilisation exclusive de l’armée. À ce sujet, il faut signaler que la police n’a pas respecté les conditions requises pour assurer la « chaine de surveillance » de la prétendue preuve apportée. Au-delà de cette grave irrégularité, l’analyse balistique mit en évidence qu’il n’y avait pas d’empreintes de Francisco sur l’arme supposément retrouvée, ni de résidus de poudre sur lui. Dans sa déclaration, Francisco a toujours nié savoir utiliser une arme, qui-plus-est longue.
Les affirmations de Francisco s’avèrent particulièrement vraisemblables. Le rapport intitulé « Certificat ministériel de documents, numéraires et objets divers » ne fait état que de biens licites que l’inculpé avait sur lui au moment de son appréhension : photos de famille, cartes de crédit, téléphone portable, Nextel, voiture en règle, carte de stationnement du Secrétariat du Travail et Prévision Social où il travaillait… tous des éléments qui suggèrent une façon de vivre honnête et des liens familiaux et professionnels stables. Ce que conforte encore les déclarations de témoins qui vont dans le sens d’une vie rangée pour Francisco et de personnes qui se trouvaient avec Francisco le 29 août 2009 et déclarent ne pas avoir noté la présence d’arme dans sa voiture. Parmi celles-ci : le gérant de discothèque « la Casona », qui s’est rapproché à la voiture de Francisco pour recevoir de celui-ci une invitation au baby shower que la famille de Francisco allait célébrer le matin du 29 août.
c) Sur les prétendus enlèvements
Il n’existe pas de victime, ni de membres des familles de victimes, ni de témoins qui incriminent Francisco Zea Lopez comme responsable direct ou indirect d’enlèvement ou d’appartenance à la délinquance organisée.
Le seul témoin qui signale directement Francisco, sans toutefois mentionner son nom, est le coaccusé Noé Robles Hernandez (NRH). C’est une fois que des agents présentèrent à ce dernier une photo de Francisco Zea Lopez que Robles Hernandez déclara qu’il s’agissait de « el Flaco (surnom signifiant « le maigre »). Quand on lui demanda de décrire physiquement Francisco, Noé affirma que celui-ci avait un nez aquilin, des dents croches, et des oreilles décollées, ce qui ne correspond pas aux traits de Francisco. Noé Robles Hernandez omit dans sa description la caractéristique la plus remarquable de Francisco et qui passe difficilement inaperçue, à savoir sa taille : Francisco mesure en effet 1m90 dans un pays où la stature moyenne est bien moindre. De ce détail physique particulièrement notable, le coaccusé n’en dit rien.
La détention préventive de Francisco fut ordonnée sur la base des déclarations de Noé Robles Hernandez des 17 et 18 juillet, 4, 8 et 22 septembre, et du 5 novembre 2009. Or, on relève un certain nombre d’incohérences et de contradictions majeures dans les déclarations de Noé, à vrai dire si nombreuses et tellement graves que son témoignage perd toute crédibilité. En effet, en fonction des versions qu’il livre, l’identité des prétendus participants aux actes délictueux change : leurs rôles sont différents d’une déclaration à l’autre, et les véhicules supposément utilisés par le groupe criminel varient à chaque narration. Noé fait fréquemment référence à des faits auxquels il n’était pas lui-même présent, sans donner d’explications sur comment ces informations lui seraient parvenues. Noé est un véritable personnage-clé dans la compréhension de la fabrication des coupables dans le cadre de l’Affaire Marti : il joue le double rôle de témoin et participants aux enlèvements pour lesquels Francisco (entre autres) est accusé. Noé désigne toujours ses partenaires en employant des surnoms et il arrive que le même pseudonyme soit utilisé pour deux protagonistes différents de l’histoire, sans que l’identité des personnes respectives n’ait été établie. Les contradictions et les 0inconsistances sont à ce point sérieuses qu’on croirait que Noé narre des versions complètement différentes des mêmes faits supposés. Sans compter qu’il finira par se rétracter lui-même et nier l’authenticité de ses déclarations antérieures, ce qui met en relief le fait que ses aveux ont vraisemblablement été arrachés sous la torture et/ou à la suite d’actes d’extorsion, ce qui a été corroboré par les expertises du Protocole d’Istanbul.
Exception faite des déclarations de Noé et de la supposée identification par celui-ci de Francisco Zea Lopez à partir d’une photo qui lui a été présentée par les agents du Ministère public, aucun des coaccusés de Francisco ne le signale comme membre du groupe criminel ou comme participant direct ou indirect aux faits reprochés. Finalement, aucune expertise scientifique ne permet d’étayer quelque responsabilité que ce soit dans les actes d’enlèvement des supposées victimes qui lui sont pourtant attribués, ni d’affirmer qu’il fit partie d’un groupe criminel organisé. Dans les bases des données de réseaux téléphoniques présentées par le Ministère Public, on ne trouve aucun lien entre, d’une part, le nom de Francisco Leopoldo Zea Lopez, ses pseudonymes allégués et ses numéros de téléphone et, d’autre part, ses coaccusés; aucun élément tangible ne permet donc d’établir de connexion entre Francisco et les accusations contre lui. Dans les rapports de police, on ne trouve aucune mention qui permette d’affirmer qu’il a participé à des enlèvements. En revanche, lorsque l’accusé sollicita au juge qu’il puisse contre-interroger les policiers responsables de son arrestation, celui-ci rejeta la requête sous prétexte que de tels rapports n’étaient pas dirigés contre lui, mais faisaient uniquement référence à des faits constatés par les agents.
Francisco n’a jamais émis non plus d’accusation contre ses coinculpés, se contentant de répéter en diverses occasions que de tels faits lui sont étrangers.
Si l’on effectue une lecture minutieuse de la déclaration d’Abel Silva Petriciolet, fournie par le Ministère Public pour étayer les accusations contre Francisco, on se rend compte qu’en réalité elle ne contient aucune imputation à son endroit en lien avec sa supposée participation dans l’enlèvement des victimes. Par exemple, un des enlèvements attribués à Francisco s’est produit tandis il était en lune de miel, ce qui a été prouvé par la présentation de billets d’avion et de factures pour les nuits à l’hôtel à la date précise de l’enlèvement. Un autre des enlèvements dont on l’accuse a eu lieu un matin pendant lequel il travaillait au Secrétariat du Travail. Des témoignages concordants ont été présentés en ce sens, aussi bien par son superviseur immédiat que par son coordonnateur, ce que confirment également les cahiers de rapport de ces journées. Pendant un autre enlèvement attribué à Francisco, ce dernier se trouvait à un souper chez sa belle-mère. Plusieurs des convives se sont présentés comme témoins pour déclarer et certifier que l’accusé était là. Un dernier enlèvement s’est produit lorsque Francisco était en train de travailler comme gérant des serveurs dans un bar.
4. Violations aux droits humains et aux garanties constitutionnelles
Pendant le long intervalle de 32 heures et demi qui s’est écoulé entre le moment de son appréhension et celui de sa mise à la disposition de l’autorité judiciaire, Francisco a été frappé à plusieurs reprises à coups de poing et de pied, étouffé et soumis à des sévices physiques et psychologiques intenses, perpétrés dans le but de lui faire avouer sa participation à des faits dont il n’avait pas de connaissance, et de le contraindre à lire une confession face à une caméra, comme cela s’est produit pour Abel Petriciolet, Noé Robles Hernandez, Maria Elena Ontiveros, et Pablo Solorzano Castro. Ces coinculpés déclarent, comme lui, avoir été torturés, ce qui a pu être vérifié par les examens du Protocole d’Istanbul qui ont pu être pratiqués (par exemple, celui de Pablo Solorzano Castro). À ceci s’ajoute la violation au droit à un procès équitable et aux règles de procédures depuis le moment même de sa détention.
Parmi les droits et garanties constitutionnelles transgressées on trouve la violation : à la présomption d’innocence, à l’intégrité personnelle, au droit d’être entendu par un juge, à la liberté, à l’honneur.
Malgré l’abondance du matériel probatoire à la décharge de l’accusé et qui démontrent le caractère improbable des imputations contre Francisco Zea Lopez, le dossier traîne. Un nouvel éclairage est jeté sur les reports successifs des audiences, les divers retards judiciaires et globalement la prolongation du procès si l’on prête attention à d’autres faits particulièrement graves et qui constituent la trame de fond de ce drame qui a conduit Francisco et ses coaccusés à être toujours privés de liberté depuis de longues années.
5. Toile de fond de l’ “Affaire Marti”
Il s’agit de l’existence d’un réseau de délinquants dont font, entre autres, partie de nombreux membres des corps policiers (fédéraux) qui s’adonnent aux enlèvements et à l’extorsion. Et vu le fort impact social et médiatique de ces enlèvements, quelques-uns ayant culminé dans la mort des victimes, l’affaire Marti a suscité un écho particulièrement prononcé dans la société civile mexicaine. Étant donné que les corporations policières se doivent de rendre des comptes à la société et aux politiques, les membres corrompus de ces corporations sont amenés à attester aux yeux de l’opinion publique de présenter des résultats : il s’agit de faire croire que des enquêtes sont conduites de manière professionnelle et efficace, de signaler directement des coupables et d’« informer » le public quant à leur appréhension. Pour se faire, on procède à la fabrication de coupables, et on procède à des détentions arbitraires, des actes de maltraitance et d’extorsion des membres désignés de groupes criminels, d’ailleurs souvent fictifs, qui seraient à l’origine de ces enlèvements . Cette stratégie atteint le double objectif de permettre aux éléments corrompus des corps de police de rendre des comptes tout en couvrant leurs propres agissements. Le temps contribue ensuite à l’oubli et l’impunité.
C’est ainsi que le Mexique fait face au gravissime problème de la fabrication systématique de coupables, ce qui est en train de pervertir le système de justice et peut mener à la ruine complète de ses institutions. Les réseaux de complicité atteignent les sommets du gouvernement et du pouvoir judiciaire. En ôtant aux véritables victimes la possibilité, le droit et jusqu’au désir de se défendre, ces pratiques causent de profonds dommages à l’état de droit.
6. Recommandations finales
En raison de l’inexistence de preuve tangible et obtenue légalement à l’encontre de Francisco, et des indices forts de compromission criminelle au sein des corporations policières, l’Association Canadienne pour la Vérité et le Droit (ACVD) estime que Francisco Zea Lopez devrait être immédiatement remis en liberté, et que devrait être garanti tout son droit de déposer des poursuites pour les graves préjudices physiques, affectifs, psychologiques et économiques subis par sa famille et lui-même.
L’Association Canadienne pour le Droit et la Vérité recommande l’ouverture d’une commission d’enquête indépendante sous la supervision de la plus haute autorité législative du pays (Chambre de Députés et Sénat), dont le mandat serait de mettre en lumière le modus operandi des responsables véritables des enlèvements, des détentions arbitraires et des actes de torture, en vue de démanteler le réseau de complicités qui opère dans tout le pays, et dans sa capitale même.