Source : ACDV JURIDIQUE/ACDV EDIT
Auteure : María E. Rivas
Le 8 février 2017 (Publication originale en espagnol le 26 janvier 2017)
Traduction : Ashley Mayer-Thibault
Avec le soutien de l’Association Canadienne pour le Droit et la Vérité , Brenda Quevedo Cruz, injustement détenue dans la prison fédérale pour femmes dans le cadre de la célèbre « Affaire Wallace » au Mexique, a présenté le 23 janvier dernier un recours en révision contre la décision émise par le juge du quatorzième district en matière administrative. Le 30 décembre 2016, le juge Alfonso Javier Flores Padilla s’était prononcé en faveur de María Isabel Miranda Torres (ou Isabel Miranda de Wallace), qui dans cette procédure agissait en tant que plaignante et avait à ce titre déposé un recours judiciaire. La décision du 30 décembre avait pour effet de protéger Miranda en ces termes:
La justice de l’Union protège et soutient Maria Isabel Miranda Torres, pour les raisons mentionnées dans les dernières considérations de cette décision
En bref, la décision du juge Alfonso Javier Flores Padilla revenait à obliger l’État mexicain à bloquer toute communication avec la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) en ce qui a trait à la transmission –pourtant légalement sollicitée par ladite Commission– d’information concernant l’affaire Wallace, soit l’histoire de faux enlèvement au Mexique à la fois la plus célèbre et la plus honteuse. Cette décision considérait également comme valides les arguments exposés par Miranda Torres à l’appui d sa demande, alors que celle-ci et ses avocats ont gravement déformé les normes nationales et internationales qui régissent l’État mexicain, alléguant par exemple que le gouvernement mexicain était dans l’obligation d’occulter des informations vis-à-vis d’un organisme international de défense des droits humains tel que la CIDH. Le texte du recours présenté par Miranda Torres est éloquent à ce sujet : il s’agissait pour la plaignante d’exprimer son « inconformité » avec le fait que « soient transmis des rapports à la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme » sachant que celle-ci a pour mandat « d’enquêter sur une hypothétique pratique de la torture contre les parties intéressées en question [c’est-à-dire les auteurs des plaintes déposées à la CIDH : Brenda Quevedo Cruz, les frères Castillo Cruz, et Cesar Freyre Morales, quatre des accusés dans l’affaire Wallace] ». Miranda Torres reproche aux autorités mexicaines de ne pas avoir intercédé en sa faveur et de ne pas s’être opposées « au nom du Mexique » et « devant la communauté internationale pour éviter que le Secrétaire exécutif de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme fasse une demande de rapports … » (Extraits du recours déposé par Maria Isabel Miranda Torres)
Le juge Flores Padilla a par ailleurs statué que Miranda Torres était parvenue à justifier qu’un de ses droits fondamentaux avait été violé par les autorités mexicaines qui ont transmis des informations sur le dossier sans l’avertir, soit le droit d’être tenue informée par le Ministère de l’Intérieur (Secretaría de Gobernación) et le Ministère des Affaires Étrangères (Secretaría de Asuntos Exteriores) du Mexique de l’existence d’une plainte déposée contre elle auprès de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme par ceux qu’elle accuse d’être impliqués dans le prétendu crime commis contre son fils Hugo Alberto Wallace Miranda en 2005. Donc, selon cette perspective que valide la décision du juge Flores Padilla, les autorités mexicaines auraient fauté par omission, dans le sens où elles auraient eu le devoir d’informer Miranda Torres, celle-ci jouissant au niveau de la justice interne de la qualité de « victime indirecte » en tant qu’elle est la mère du présumé disparu.
C’est en validant l’argument de Miranda Torres que le tribunal lui a ainsi accordé la protection de la justice fédérale, décision qui, selon l’avis de l’Association canadienne pour le droit et la vérité, est absolument inacceptable d’un point de vue juridique. En effet, selon notre analyse, ni cet argument de la part des avocats de Miranda, ni la validation de celui-ci par le juge, ne sont fondées juridiquement.
Notons toutefois que la ligne de défense de Miranda Torres est très révélatrice de la « crainte fondée » (extrait) qu’éprouve Miranda Torres devant la possibilité que la lumière soit faite sur cette affaire, depuis que des organisations internationales telles que la CIDH et l’ACDV ont décidé d’enquêter sur les allégations de violations de droits humains et aux règles de procédure dans cette affaire de prétendu enlèvement et assassinat de Hugo Alberto Wallace Miranda supposément survenu en juillet 2005.
« N’importe quelle décision émise par des organismes internationaux pourrait entrainer l’abrogation ou la modification de ce qui a été décidé par l’autorité mexicaine. » (Extraits du recours déposé par Maria Isabel Miranda Torres)
Un des motifs invoqués dans le recours déposé par Miranda Torres est l’existence d’un supposé conflit d’intérêt chez l’ancien Secrétaire Exécutif de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme, Emilio Alvarez Icaza, ce conflit d’intérêt lui portant directement préjudice à elle en tant que « victime indirecte ». Or, ce motif du « conflit d’intérêt » n’est nullement prouvé par la plaignante. C’est pourtant sur la base de celui-ci que le tribunal a exigé de la part des autorités mexicaines de présenter leurs excuses à Miranda Torres, et qu’elles se prononcent sur l’opportunité de demander la destitution de l’ancien Secrétaire Exécutif de la CIDH. Bien plus, la lecture du document déposé par la plaignante manifeste que le Dr. Emilio Alvarez Icaza a certes sollicité des informations sur l’Affaire Wallace auprès des autorités gouvernementales mexicaines, mais que cette sollicitation est en tous points conforme à ses fonctions, telles qu’établies par le règlement de la CIDH.
Miranda Torres s’est insurgée contre le fait qu’une audience préalable avec la CIDH ne lui ait pas été accordée, arguant que le prétendu conflit d’intérêt de l’ancien Secrétaire Exécutif, lequel, nous le répétons, n’a jamais été prouvé, lui portait préjudice. Elle faisait état de son prétendu droit à une audience avec la CIDH, qui aurait été préalable à toute transmission de documents juridiques sur sa propre affaire. Toutefois, du point de vue de la justice internationale, il n’était pas recevable que Miranda Torres se prévale de son statut de « victime indirecte » qui lui a été accordé par les tribunaux mexicains ayant procédé à la condamnation de Juana Hilda Lomeli, Cesar Freyre, et Tony et Albert Castillo Cruz. Du point de vue de la CIDH en effet, Miranda Torres n’est considérée comme une victime, mais comme une des personnes visées par des plaintes qui ont été adressées à cette instance par de présumées victimes de torture et de violations aux droits humains et aux règles de procédure.
Miranda Torres a également soutenu que son « droit à l’administration de la justice » (sic.) avait été violé. D’une part, cette prétendue violation n’est pas, elle non plus, démontrée dans l’écrit déposé. D’autre part, l’utilisation de cette expression—en soi erronée—dénote une certaine ignorance en matière de droit humain de la part de la plaignante et de son équipe d’avocats. Si l’on se réfère au texte du Pacte de San José ou à celui de la Convention Américaine sur les Droits de l’Homme, force est de constater que l’ « administration de la justice » n’est pas un « droit », mais l’exercice même de la juridiction. Autre signe d’ignorance : Miranda Torres cite sans les comprendre ou bien, ce qui serait plus grave, les détournant à son avantage de leur sens réel, les normes de l’État Mexicain obligeant ce dernier à respecter les traités internationaux et à s’engager dans la lutte contre la corruption en tant qu’État membre de l’OEA.
Bref, l’attitude de la « Sra. Miranda de Wallace » ne fait que témoigner de sa tentative de contrôler, voire d’entraver le processus d’application des lois mexicaines, de même qu’une certaine panique chez elle du fait qu’elle échoue à exercer ce contrôle auprès d’organismes internationaux.
Nous estimons que la décision du 30 décembre 2016 de la part du tribunal en faveur de Maria Isabel Miranda Torres représente une grave violation des principes du droit, tels qu’édictés par la Charte Constitutionnelle du Mexique et par la Convention Américaine des Droits de l’Homme. Ce verdict d’octroi de la protection de la justice interne contre l’enquête de la CIDH viole un certain nombre de droits tels que l’égalité de tous devant la loi. Ceux et celles qui déposent des plaintes auprès d’un organisme de juridiction internationale comme la CIDH sont fréquemment des personnes qui ont été condamnées ou inculpées dans leur pays, ce qui les rend vulnérables face à des individus qui, dans ledit pays, disposent de pouvoir politique ou autre. Tel est le cas de Maria Isabel Miranda Torres (ou Isabel Miranda de Wallace). Nous réitérons notre espoir et notre confiance en ce que la justice mexicaine révoque la décision du juge Alfonso Javier Flores Padilla, qui a concédé la protection de la justice à Maria Isabel Miranda Torres contre l’enquête de la Commission Interaméricaine des Droits Humains, et qu’elle prononce un jugement en faveur de Brenda Quevedo et des autres auteurs des plaintes déposées à la CIDH dans cette affaire. Une telle décision serait un geste concret en faveur du rétablissement du droit, de même qu’un signe de la bonne foi envers les victimes de tortures et de menaces au Mexique, personnes qui continuent à lutter pour la vérité et la justice auxquelles elles ont droit, en s’adressant à des organismes internationaux.
L’Association Canadienne pour le Droit et la Vérité profite de cette occasion pour réaffirmer son engagement inconditionnel envers les victimes directes et indirectes dans le cadre de l’ « Affaire Wallace », et continuera à travailler pour que Jacobo Tagle Dobin, Brenda Queveda Cruz, Tony et Albert Castillo, Cesar Freyre Morales, Juana Hilda Lomeli et Jael Malagon Uscanga soient innocentés et obtiennent justice.