Source: Animal político
Auteur: Arturo Angell
Le 14 novembre 2018 (Publication originale en espagnol le 22 octobre 2018)l
Traduction: Emmanuelle Gauthier-Lamer
Torturé pour qu’il confesse un meurtre, puis condamné; 7 ans plus tard, la Cour annule sa condamnation.
L’accusé a dénoncé qu’il avait été torturé pour qu’il accepte de déclarer qu’il avait tué une femme, mais les juges dans cette affaire l’ont ignoré et l’ont condamné à 32 ans de prison.
La Cour Suprême de Justice mexicaine (Suprema Corte de Justicia de la Nación) a décidé d’annuler une peine d’emprisonnement de 32 ans infligée à un homme pour le meurtre d’une résidente à Veracruz, après avoir conclu que les juges en charge du procès avaient ignoré que les aveux incriminants de l’accusé, sur lesquels tout le dossier reposait, avaient pu avoir été obtenus sous la torture physique et psychologique.
Il s’agit du cas de Yarold Christian Leyte Quintanar, emprisonné pendant près de sept ans dans une prison de Veracruz. Son histoire, y compris le récit et les preuves de la torture qu’il a subie et les multiples irrégularités entourant la procédure, a été traitée par Animal Político dans cet article (espagnol) et dans l’enquête “Tuer au Mexique; Impunité garantie” (espagnol) publiée en mai dernier.
La décision de la Première Sale de la Cour Suprême ne signifie pas pour autant la mise en liberté immédiate pour Yarold. Il s’agit toutefois d’un jugement qui, pour la première fois, et après quatre années de bataille légale, abroge la condamnation et ordonne à un juge de vérifier si les preuves déjà existantes (y compris les expertises qui certifient les blessures subies par Yarold au cours de sa détention) corroborent l’hypothèse de la torture.
Au cas où il n’y aurait pas actuellement de preuves suffisantes pour le prouver, la Cour Suprême a également ordonné aux juges de mener une enquête exhaustive sur les allégations de torture, laquelle passerait par l’application du Protocole d’Istanbul.
Le jugement de la Cour, dont nous détenons la copie, condamne le fait que le juge de Veracruz qui avait initialement prononcé la condamnation n’a pas ordonné l’ouverture d’une enquête au sujet de la torture dénoncée lors le procès. Il a en fait complètement totalement ignoré la piste de la torture.
Le juge de première instance a condamné sans ordonner l’ouverture d’une enquête sur la torture dénoncée lors le procès.
Le jugement de la Cour Suprême juge également erronée la décision du Tribunal d’appel: après avoir analysé pour une deuxième fois l’affaire et déclaré que les allégations de torture méritaient d’être investiguées, les juges du Tribunal d’appel ont tout de même confirmé la condamnation de Yarold, minimisant ainsi le fait que la confession auto-incriminatoire contestée était la pièce centrale sur laquelle reposaient les accusations du Ministère Publique de Veracruz.
“Contourner une plainte de torture sans enquête correspondante place nécessairement dans un état d’impuissance celui qui allègue la torture parce que, en ne vérifiant pas ses dires, on se refuse à analyser une éventuelle illégalité (…). Ce n’est qu’après une enquête approfondie et diligente qu’il sera réellement possible de déterminer l’impact de la torture sur la procédure pénale”, indique la Cour dans la cadre du jugement en révision1389/2018.
Un cas fabriqué
Sur 100 cas d’homicides commis au Mexique, seulement 5 sont résolus juridiquement et pénalement avec un auteur présumé du crime poursuivi et condamné (espagnol). Ce qui signifie que le taux d’impunité au Mexique atteint les 95%. Pis encore: dans certains cas, les personnes accusées des crimes n’en sont pas les véritables auteurs, mais ont été incriminées sur la base de preuves fabriquées (espagnol).
Le reportage intitulé “Tuer au Mexique: Impunité garantie” a traité du cas de Yarold Christian Leyte Quintanar (espagnol), condamné à 32 ans de prison pour le meurtre la représentante de la banque “Compartamos” María Teresa González González, crime survenu en 2012 à Tuxpan, Veracruz. Quelques jours après le meurtre, des policiers ont arrêté Yarold, qui a été exhibé dans les médias comme “l’assassin de la Haute Vallée”.
Accéder au vidéo “Tuer au Mexique: l’Affaire Yarold Leyte”: ici (espagnol).
L’élément incriminant du Ministère Publique contre Yarold consistait en ses aveux présumés, dans lesquels il affirmait avoir accidentellement tué González à l’intérieur de sa maison, pendant qu’il se battait avec elle. L’accident serait supposément survenu après qu’elle se fut présentée chez Yarold pour recouvrer une dette qu’il avait contracté auprès de la banque.
Notre enquête a révélé de nombreuses irrégularités qui ont été documentées dans le dossier et qu’Animal Político a pu vérifier. À titre d’exemple, le directeur de la banque où travaillait la femme assassinée a nié dans son témoignage que Yarold eut été client de la banque et qu’il eut contracté une dette avec eux. Mentionnons également l’analyse de l’expert officiel qui a déclaré que la victime n’était pas morte dans la maison de Yarold (comme il le prétend dans ses aveux présumés), mais bien sur le lieu où elle a été trouvée, soit dans une maison face à celle du domicile de l’accusé.
Il y a surtout cette dénonciation détaillée de Yarold, dans laquelle il affirme que ses aveux ont été fabriqués de toutes pièces et qu’il les a signés après avoir été torturé pendant longtemps. Il existe des preuves ministérielles et d’experts selon lesquelles Yarold a été détenu pendant plusieurs heures avant d’être mis à la disposition du procureur, et qu’il avait subi plusieurs lésions physiques et dommages psychologiques.
L’histoire complète de son arrestation et le récit de la torture qu’il a subie peuvent être consultés dans cet épisode (espagnol) de la mini-série (espagnol) qui accompagne le reportage de “Tuer au Mexique”. On retrouve ici un extrait des mauvais traitement que Yarold a endurés par les policiers qui l’ont arrêté, tel que raconté par sa mère:
“Ils commencent par essayer de le noyer, puis ils le redressent, ils lui donnent des chocs électriques…et comme Yarold n’avoue toujours pas, ils chargent une arme à feu et la pointent à son visage en lui disant qu’ils vont le tuer. Malgré tout cela, mon fils répète qu’il ne sait pas de quel homicide on lui parle et qu’il ne connait pas la victime. C’est là qu’ils lui disent qu’il va avouer, d’une manière ou d’une autre. Ils le tirent par les cheveux, le mettent contre une grille. C’est là qu’il entend son épouse en pleurs. Ils lui disent que s’il ne confesse pas, ils vont tuer sa femme et un de ses enfants… C’est à ce moment que Yarold accepte de signer cette déclaration qu’ils avaient déjà préparée…”
Malgré cela, le juge de Tuxpan chargé du procès a retenu les aveux de Yarold comme preuves valables, et quatre ans après l’arrestation – et en raison des pressions exercées par la procuration pour qu’il rende un jugement rapidement – ce juge a condamné le jeune homme à une peine de 32 ans d’emprisonnement. Dès lors, il a entamé la bataille juridique avec des appels et des injonctions devant diverses cours et tribunaux, y compris les tribunaux fédéraux, qui s’est terminée par la révocation de la sentence en Cour Suprême.
La prochaine étape pour Yarold
La décision de la Première Salle de la Cour Suprême a donc finalement annulé la condamnation de Yarold à 32 ans de prison. Mais cela ne signifie pas encore que le jeune homme puisse retrouver sa liberté.
Ce que les ministres ont ordonné, c’est que l’affaire soit renvoyée au juge de première instance avec l’ordre d’analyser si les preuves déjà existantes sont suffisantes pour attester de la torture subie par l’accusé et, le cas échéant, déclarer ses aveux et toutes les preuves liées à ces derniers comme illégaux.
L’avocat de Yarold, Gabriel Guadalupe Salmones, a déclaré que si cela se produisait, l’affaire n’aurait assurément plus assez d’éléments pour être recevable, ce qui du coup conduirait à la libération du jeune homme.
Toutefois, au cas où il n’y aurait pas de preuves suffisantes de torture, la Cour Suprême a ordonné l’ouverture d’une enquête approfondie et l’application du protocole d’Istanbul, qui permet de certifier si une personne a été soumise ou non à ce type de mauvais traitement. Si tel est le scénario, la résolution pourrait être connue d’ici un an.
Dans ce contexte, l’avocat Gabriel Salmones a estimé que la décision de la Cour était “insuffisante” et qu’il s’agissait d’une décision “Salomonienne”, car bien qu’elle représente une avancée majeure dans l’affaire, elle aurait pu aller plus loin et ordonner une fois pour toutes la clôture du dossier en raison du cumul des irrégularités qui ont été documentées.
Yarold est déjà en prison depuis près de 7 ans et devra attendre encore puisque le système judiciaire de Veracruz n’a pas de personnel certifié qui puisse appliquer le protocole d’Istanbul. Il faudra donc attendre la Commission nationale des droits humains qui n’a pas ce personnel non plus. En d’autres termes, il s’agit d’un processus fastidieux parce que le système judiciaire mexicain n’est pas rapide”, a déclaré le plaideur.
Malgré cette situation, l’avocat est convaincu que la liberté de Yarold est une question de temps, non seulement parce que les tortures qu’il a subies sont pleinement vérifiables (avec des avis d’experts ratifiant les blessures), mais aussi parce que cette affaire n’a pas les moindres éléments de preuve depuis le début.
L’affaire de Yarold a été affectée par le fait de ne pas avoir eu de véritable défense dès le début. Les avocats publics étaient là, mais ils n’ont fait aucun travail. Nous avons dû aller jusqu’à cette dernière instance. Désormais, nous savons que Yarold va assurément sortir, mais malheureusement ce ne sera pas dans l’immédiat”, a déclaré Salmones.
Accès à la décision de la Cour Suprême: ici (espagnol).