Affaire Vallarta (Le 16 Avril 2015)

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“Israel rampait. Il ne pouvait pas marcher. Il avait été battu sévèrement et était complètement perdu. ” – Guadalupe Vallarta

Source: Gatopardo via MXporFC (version originale en Espagnol) Auteure: Emmanuelle Steels Le 16 avril 2015 Traduction : Sonia Béroud pour ACDV, avec l’assistance de Camille Didier

L’autre coup monté : Les Vallarta

Guadalupe Vallarta Cisneros a passé 8 ans à œuvrer pour la liberté de sa propre famille. Son frère Israel – l’ancien petit ami de Florence Cassez – et 5 autres membres de sa famille ont été accusés d’enlèvement, torturés et condamnés par l’opinion publique. Derrière cette « famille de kidnappeurs » se cache une histoire qui passe inaperçue au milieu de l’agitation créée par l’affaire Florence Cassez.

Alors que les autorités avaient placé ses frères et neveux en détention, Guadalupe Vallarta achetait de nouvelles étagères pour entreposer ses dossiers judiciaires. Sa maison à Colonia Doctores, une maison humide à un seul étage, est remplie de papiers. On n’y trouve presque rien d’autre : des dossiers qui débordent des étagères envahissent le canapé, la table et les chaises en plastique. Et quand il y a de la place, ils s’empilent sur le sol. Des piles de documents au sujet d’affaires criminelles impliquent son frère Israel, arrêté en 2005 et accusé d’être, conjointement avec Florence Cassz, le chef de la bande de kidnappeurs « Los Zodiaco ». D’autres piles de documents au sujet d’affaires criminelles impliquent plusieurs de ses frères et neveux : René, Juan Carlos et Alejandro, arrêtés en 2009, et Mario et Sergio, arrêtés en 2012. A ce jour, ils sont encore tous en prison, à l’exception de Florence Cassez, libérée en janvier 2013.

Guadalupe a appris la nouvelle de l’arrestation d’Israel alors qu’elle avait contracté le virus de la dengue et était alitée. C’était le matin du 9 décembre 2015, et elle était endormie. « Ma sœur Yolanda s’est précipitée dans ma chambre et m’a dit qu’Israel et Florence avaient été arrêtés », raconte-t-elle. La télévision diffusait des images de son frère et de sa petite amie, tous les deux menottés, au domicile d’Israel : le ranch « Las Chinitas », une petite propriété à Topilejo, située sur l’autoroute reliant Mexico à Cuernavaca. Les journalistes racontaient que le couple avait été arrêté en flagrant délit par l’Agence d’Enquêtes Fédérales (Agencia Federal de Investigación, ou AFI) alors qu’ils retenaient 3 personnes en otage, dont un enfant de 11 ans, dans une cabane de jardin.

Guadalupe vivait à Iztapalapa avec sa sœur Yolanda et ses parents, Jorge Vallarta et Gloria Cisneros, âgés respectivement de 79 et 72 ans. « J’ai vu Israel, accroupi, le visage contusionné. Ces images m’ont tellement choquée que je n’arrivais plus à réfléchir. J’ai pensé que c’était une erreur, parce que je sais que mon frère n’est pas comme cela. Nous ne savions pas quoi dire à ma mère à ce sujet, parce que nous pensions qu’elle ne parviendrait pas à croire la nouvelle. En milieu de matinée, des membres de la famille ont commencé à se rassembler, et mes frères et sœurs sont arrivés petit à petit, les uns après les autres, dans notre maison à Iztapalapa. On n’arrêtait pas de se dire « Ce n’est pas possible, ce n’est pas réellement en train de se produire », puis : « Est-ce que c’est possible? », parce que l’information semblait vraiment sérieuse. A la télévision, tout le monde les faisait passer pour des malfaiteurs. D’un côté, nous savions que c’était faux, mais d’un autre côté, nous n’avions aucune information. Ma mère insistait sur le fait qu’il y avait quelque chose de bizarre sur ces images. »

La famille a ensuite appelé Hector Trujillo, un avocat et ami de la famille, avec qui Guadalupe avait travaillé plusieurs années auparavant. La priorité était de trouver Israel et Florence. La famille les a cherchés dans les agences du bureau du Procureur Général (PGR). René et Mario, deux des frères Vallarta, ont passé deux jours assis sous le monument de la révolution, face à l’entrée du bureau des enquêtes spéciales sur le crime organisé (Subprocuraduría de Investigación Especializada en Delincuencia Organizada, ou SIEDO). Au bout de 2 jours, on leur a dit que Florence et Israel avaient été placés en détention, mais qu’ils ne pouvaient pas leur parler.

Quelques officiers de police qui prétendaient faire partie de l’AFI les ont abordés et leur ont demandé de payer 200 000 pesos pour qu’Israel soit libéré, mais la famille a refusé de payer. « Nous pensions qu’Israel serait de toute façon libéré rapidement. »

Les autorités ont ordonné le placement en détention du couple le 10 décembre, mais elles ont refusé d’en informer la famille. Un jour plus tard, les parents d’Israel se sont rendus à la Commission Nationale des Droits de l’Homme (Comisión Nacional de Derechos Humanos or CNDH) afin de déposer une plainte pour la détention et la maltraitance de leur fils.

Ils étaient submergés de questions. « Jusqu’à ce que nous parlions avec eux, nous ne savions pas quoi croire. », raconte Guadalupe. Le 12 décembre, les Vallarta ont pu rendre visite à Israel et Florence dans le centre de détention où ils étaient retenus. « Israel se traînait. Il ne pouvait pas marcher et était porté par 2 de ses codétenus. Il avait été violemment battu et il était complètement désorienté. Il semblait perdu. Florence était terrorisée », poursuit la jeune femme.

Florence Cassez se sentait très seule. « Son frère Sébastien, qui vivait à Mexico, n’est jamais venu la voir; il ne lui a jamais rendu visite. Le consul de France est venu la voir, mais il est à peine resté avec elle. Au début, les choses étaient très différentes : les autorités françaises ne lui prêtaient pas du tout attention », raconte Guadalupe. La mère de celle-ci a même dû acheter des vêtements pour Florence Cassez.

Quand les proches d’Israel ont entendu en personne l’histoire des journées tumultueuses que le couple avait vécues, la complexité de l’affaire les a anéantis. Ils ont découvert qu’en réalité, ils avaient été arrêtés le 8 décembre sur l’autoroute, un jour avant les images tournées au ranch. L’avocat leur a expliqué que l’affaire pourrait durer longtemps.

Le 13 décembre, lorsqu’elles sont retournées dans la maison familiale à Iztapalapa, Guadalupe et sa mère ont trouvé sur la porte d’entrée un mot manuscrit : « Cette maison est immunisée contre les enlèvements. ». La maison avait été saccagée; tout était sens dessus dessous. Des objets, des vêtements et des documents avaient disparu. « Ces mêmes documents qui avaient disparu ont ensuite été mentionnés dans les rapports de perquisition, comme s’ils y avaient été trouvés. C’est pour cette raison que nous avons réalisé très tôt que tout cela était un coup monté », raconte Guadalupe.

« Dans la cabane du ranch « Las Chinitas », il y avait des affaires qui appartenaient à Israel, mais qui provenaient d’un autre endroit, ainsi que des objets et des photographies de Florence qui provenaient de son appartement … On pouvait voir des policiers guidant les journalistes. Puis, quand j’ai analysé toutes les vidéos qui étaient dans le dossier, j’ai vu des images de l’enfant en train de rire », poursuit-elle.

Entre la fin de l’année 2005 et la moitié de l’année 2006, René et Mario ont été ceux qui ont le plus défendu Israel. Puis, Guadalupe a pris le relais pour qu’ils puissent travailler et payer les procédures judiciaires.

Les Vallarta sont une famille de la classe moyenne qui s’est installée à Iztapalapa au début des années 1960, alors que la région avait à peine commencé à être colonisée. Jorge Vallarta Sr. travaillait pour une concession automobile dans la Colonia Narvarte; Gloria, la mère, était la clé de voûte de la famille, et elle apprenait à chacun de ses enfants à coudre et à cuisiner. Jorge Sr. et Gloria avaient 9 enfants : Guadalupe était née en milieu de fratrie, Israel était le plus jeune. Lorsque l’aîné de la famille, Jorge, a été diplômé comme architecte, il est devenu l’exemple à suivre. « Mes parents nous encourageaient à aller jusqu’au bout d’un cursus universitaire », dit Guadalupe. Mais plusieurs des frères et sœurs, dont Guadalupe, ne sont pas allés au bout de leurs études. Tous se sont mariés très jeunes. René, le sixième enfant, a ouvert un garage automobile à Iztapalapa, dans lequel son frère David, le quatrième enfant, travaillait aussi. Guadalupe, Mario (le huitième enfant) et Israel ont acheté et revendu des voitures d’occasion pendant quelques temps. Ils démarchaient les compagnies d’assurance et achetaient des véhicules endommagés, puis ils partaient en quête de pièces détachées, réparaient les voitures et les revendaient.

Guadalupe est née en 1957 dans le district fédéral. Elle a vécu pendant quelques années à Colonia Portales avant que la famille ne déménage à Iztapalapa. Elle n’a jamais quitté la ville, jusqu’à peu de temps après l’arrestation d’Israel, lorsqu’elle a dû revendre sa maison. Elle a commencé à étudier la chimie à l’Université Nationale Autonome de Mexico (Universidad Nacional Autónoma de México), et a épousé son voisin, un comptable, à l’âge de 21 ans. Ils ont eu 2 enfants ensemble, mais ils se sont séparés après 15 ans de vie commune. Avant qu’elle ne commence à acheter et revendre des voitures, elle a monté sa propre société de fret : elle possédait un camion de 3,5 tonnes qu’elle conduisait à travers la ville. « J’ai toujours eu des emplois peu communs pour une femme. C’était comme un défi que je cherchais à relever », raconte-t-elle. Sa mère, Gloria, était atteinte de la maladie d’Addison, une déficience hormonale, et lorsque son état de santé s’est détérioré, Guadalupe s’est consacrée à prendre soin d’elle.

Israel est le préféré de la famille Vallarta, le plus jeune. Né en 1970, il a vécu avec sa famille à Iztapalapa et Pedregal de Carrasco, près de Perisur, où il est allé au lycée. Il a commencé à travailler dès qu’il a eu 14 ans, et il a eu une carrière plutôt chaotique. Il a travaillé comme vendeur pour Bardahl, une société commercialisant des lubrifiants pour automobiles; à Casa Domecq, une multinationale commercialisant des boissons alcoolisées; chez Pepsi-Cola, en tant que superviseur puis en tant que responsable des ventes; et enfin pour une chaîne de restaurants. En 1994, il a connu son premier échec marital. Puis il a rencontré Claudia, l’a épousée, et l’a suivie à Guadalajara. En 1998, il a eu des jumeaux : Israel et Brenda. Il s’enthousiasmait toujours pour de nouvelles entreprises : il a commencé dans l’immobilier et a fini par ouvrir une clinique d’esthétique, se spécialisant dans l’épilation au laser et les soins du corps.

Quand il s’est séparé de Claudia, il est retourné à Mexico, tout en continuant à se rendre régulièrement à Guadalajara. Il a alors repris une ancienne tradition familiale : l’achat et la revente de véhicules d’occasion. Au cours des 2 dernières années avant son arrestation, il a vécu au ranch « Las Chinitas », payant un loyer mensuel de 4,000 pesos. « Ça n’était pas un endroit exceptionnel. Il l’aimait bien parce qu’il y avait un patio où on pouvait organiser les réunions de famille. Israel était attiré par les affaires, mais pas par l’argent », raconte Guadalupe. Au cours de l’été 2004, Sébastien Cassez, un ami français qui lui avait vendu quelques appareils pour sa clinique d’esthétique lui présenta sa sœur, Florence, âgée de 29 ans. Dans son livre « A l’ombre de ma vie », publié en 2011, elle décrit Israel comme « amical » et « charmant ». Cette relation était vue d’un bon œil par la famille d’Israel, séduite par la confiance en soi de la jeune Française qui avait choisi de vivre au Mexique pour échapper à l’ambiance morose du Nord de la France.

« Elle me disait toujours « Je vais emmener ton fils en France! » », se souvient Jorge, le père d’Israel. « J’en riais. La vérité, c’est qu’Israel aurait aimé y aller avec elle. Il était heureux et amoureux. » Jorge, le frère d’Israel, se souvient : « Ils étaient des proches idéaux : toujours de bonne humeur, toujours à plaisanter. »

Quand les parents de Florence ont rendu visite à leur fille au Mexique, ils ont séjourné dans le ranch « Las Chinitas », dans lequel Israel les a chaleureusement accueillis. Pourtant, la relation d’Israel et de Florence a été marquée par des séparations et des retrouvailles. Florence s’est lassée des comportements jaloux, possessifs et parfois brutaux d’Israel, comme elle le raconte dans son livre. Lui voulait la garder à ses côtés, mais elle l’a quitté. Durant l’été 2005, elle est retournée en France. Mais elle ne s’y sentait plus chez elle; le Mexique lui manquait. A l’automne 2005, elle a fini par accepter la proposition d’Israel, qui lui avait suggéré de s’installer au ranch le temps de trouver un travail et un nouveau logement.

Peu avant son arrestation, le couple est parti en voyage à Veracruz avec les parents d’Israel. La famille Vallarta les a ensuite rejoints pour fêter l’anniversaire de Florence. Dans les jours précédant son arrestation, Jorge, le frère aîné de la famille, a passé du temps avec le couple. Il est allé faire les magasins avec Florence. « Israel m’a demandé de prendre soin d’elle lorsqu’elle rendait visite à sa famille à Guadalajara. » Jorge était présent au ranch le 7, date à laquelle ils étaient supposés enlever des personnes. Israel pensait avoir récupéré Florence. Cependant, elle dit qu’ils s’étaient éloignés l’un de l’autre. Lorsqu’ils ont été arrêtés, elle était sur le point d’emménager dans un appartement dans la Zona Rosa, au centre-ville de Mexico. Le tempérament colérique d’Israel aurait été la cause de cette séparation. « Florence est une personne de caractère, et elle n’aurait jamais autorisé Israel à être violent avec elle. Elle aurait arrêté de le voir », dit Guadalupe. « De la même manière, si elle avait vu Israel commettre un crime, elle l’aurait dénoncé. C’est une chose dont je suis absolument convaincue. Ils sont innocents. »

Après son arrestation, Israel Vallarta a fait un aveu étrange. Il a dit qu’il avait rencontré quelqu’un du nom de Salustio 3 ans auparavant, et qu’il l’avait « invité à participé à un enlèvement », comme si c’était quelque chose de tout à fait ordinaire. Israel décrit ensuite une série de personnes avec lesquelles il a collaboré dans différents enlèvements entre 2002 et 2005. Quand sa période d’emprisonnement a pris fin, au début du mois de mars 2006, Israel a refusé de reconnaître cette déclaration, affirmant qu’il avait été forcé à signer des pages blanches lorsqu’il avait été torturé. Un médecin du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), le Docteur Gerardo Montfort Ramírez, a examiné Israel le 12 décembre et constaté les actes de torture qu’il avait subis dans un sous-sol du SIEDO. Dans son rapport, il décrit différents types de lésions constatées sur le corps de la victime, ainsi que de multiples brûlures compatibles avec « des blessures infligées par un appareil électrique ».

Les maltraitances subies par Israel avaient déjà été démontrées devant les caméras de télévision le 9 décembre. Les agents de l’AFI le battaient pour qu’il avoue être un kidnappeur. Comme il refusait de coopérer, ils ont dû recommencer le tournage à trois reprises. Comme Israel l’a raconté à sa famille, le journaliste de la chaîne Televisa, Pablo Reinah, est entré dans une rage folle, et il l’a frappé pour le forcer à se comporter conformément à ce qui était prévu dans le scénario.

Une étude détaillée du dossier d’Israel laisse penser qu’au moment de son arrestation, lorsqu’il se rendait à Mexico le 8 décembre, aux alentours de midi, personne n’avait été enlevé et retenu prisonnier dans son ranch. L’AFI n’avait arrêté aucun malfaiteur chargé de surveiller les otages en l’absence d’Israel et de Florence, et elle ne donnait aucune explication cohérente de l’opération de libération des otages non plus. Durant le tournage du reportage pour la télévision, Cristina Ríos, la femme kidnappée avec son fils Christian, criait à la police : « Ne les frappez pas! Ils n’ont rien fait du tout! », à chaque fois qu’ils levaient la main sur le couple. Quant à Ezequiel Elizalde, la troisième victime de l’enlèvement, Israel identifie sa voix comme celle de la personne qui avait été torturée avec lui au SIEDO la veille. Dans sa déclaration de mars 2006, Israel dit qu’il a entendu Ezequiel dire qu’il s’était « enlevé lui-même parce qu’il avait besoin d’argent. »

Dès les tous premiers jours, Israel a compris que son arrestation avait été organisée par l’une de ses connaissances. « Tu es allé trop loin avec un salaud très important », ont dit les agents à Israel pendant qu’ils le battaient. Israel pense qu’ils faisaient référence à Eduardo Margolis Sobol, un homme d’affaires de Polanco spécialisé dans le domaine de la sécurité, et qui avait fait affaire avec Sébastien Cassez. L’histoire s’était achevée avec un procès intenté pour récolter de l’argent. Margolis avait menacé Sébastien d’enlever sa femme et ses enfants. Israel voulait intervenir pour défendre son ami. Il est allé voir Margolis à son bureau; la discussion s’est enflammée et s’est terminée en bagarre. Quelques mois plus tard, Israel était arrêté. Israel a dit dans l’une de ses déclarations qu’il avait vu Margolis au SIEDO les 8 et 9 décembre, complotant avec Luis Cárdenas Palomino, le directeur général des enquêtes policières à l’AFI, et Alejandro Fernández Medrano, le procureur public fédéral, pour mettre en place le coup monté du reportage à la télévision. Le matin du 10 décembre, au centre de détention, un homme s’est approché d’Israel, l’a battu avec ses poings et ses pieds, et lui a dit : « Ton Juif préféré te passe le bonjour. Tu sais que si tu parles, toute ta famille et toi allez mourir. »

Le Zodiaque (« Los Zodiaco ») est un groupe de malfaiteurs inventé de toutes pièces pour rendre plausible l’accusation d’Israel et de Florence comme chefs d’une bande de kidnappeurs, dans le seul but de venger Eduardo Margolis, qui était à ce moment-là très proche du directeur de l’AFI Genaro García Luna, et plus tard du secrétaire de la sécurité publique au gouvernement de Felipe Calderón. Pour clarifier cette version, nous, quatre correspondants de la presse française, avons interviewé Eduardo Margolis en mai 2009. Il nous a expliqué qu’il travaillait pour la communauté juive de Polanto et qu’il était à ce titre impliqué dans la résolution des affaires d’enlèvement. Il a nié son implication dans le coup monté, mais il a essayé de nous convaincre de l’existence du Zodiaque. Il a dit qu’Israel était responsable des négociations téléphoniques avec les familles des victimes. Mais l’analyse des enregistrements téléphoniques par les experts compétents en juin 2006 a établi qu’il ne s’agissait pas de la voix d’Israel. Le nom de Margolis se trouve dans les dossiers d’enregistrement des visites du SIEDO à la date du 9 décembre 2005. Il a justifié sa présence au SIEDO ce jour-là par la vente d’un véhicule blindé à l’organisation.

Israel n’a pas osé dénoncer le coup monté et les actes de torture qu’il avait subis lorsqu’il était encore emprisonné, à la merci de ceux qui menaçaient de tuer sa famille. Florence Cassez a quant à elle adopté une stratégie de défense plus directe.

Le 5 février 2006, la jeune Française a appelé l’émission de télévision « Punto de Partida », diffusée par la chaîne Televisa, et dans laquelle la journaliste Denise Maerker avait comme invité Genaro García Luna, pour dénoncer le coup monté ayant mené à sa mise en détention. Suite à cette intervention, les autorités ont manœuvré pour augmenter les charges qui pesaient contre les deux chefs présumés du groupe « Le Zodiaque » : Cristina Ríos, la victime qui avait refusé de les identifier comme ses kidnappeurs, a commencé à les accuser.

Convaincue que les accusations à son encontre résultaient d’un malentendu et qu’elle serait relâchée, Florence a demandé à être jugée au plus vite. Au début de l’année 2007, sur la recommandation de son avocat, Horacio García Vallejo, la jeune Française a séparé son inculpation de celle d’Israel. Florence avait commencé à suspecter Israel et Guadalupe, parce que les gardes de la prison de Santa Martha lui avaient dit que la sœur de son ancien petit ami faisait partie d’un groupe de kidnappeurs d’Izatapalapa. La sœur et la mère de son ancien petit ami lui rendaient régulièrement visite en prison pour compenser le fait que sa famille n’était pas à ses côtés. D’un jour à l’autre, la jeune Française a complètement coupé les ponts avec la famille Vallarta, refusant de les recevoir.

En avril 2008, Florence a été condamnée à 96 ans de prison. Menée par Frank Berton, un avocat français de renom qui avait pris son affaire, une stratégie média a été lancée pour dénoncer la « farce judiciaire ». Un autre avocat mexicain de renom, Agustín Acosta, s’est également joint à sa cause. Dès lors, Florence a pu compter sur le soutien clé de Nicolas Sarkozy, le président français de l’époque. Ce soutien a mené à un immense conflit diplomatique, lorsque la condamnation de Florence a été confirmée en seconde instance, en mars 2009, puis que son recours d’amparo a été rejeté, en février 2011. Acosta a décidé de présenter son affaire devant la Cour Suprême du Mexique, en plaidant la violation de ses droits.

Dans une lettre qu’il nous a envoyée à nous, trois correspondants de la presse française, en mai 2009, Israel critique les agissements de Florence : « (C’était) une énorme erreur de la part de Flo de révéler le coup monté à un moment inapproprié, alors que nous étions encore détenus, et ensuite, sur conseil de son avocat, de séparer son inculpation de la mienne, de ne présenter aucune preuve, et de demander ensuite à être jugée sans m’écouter l’une des centaines de fois où j’ai essayé de la convaincre de demander d’autres opinions, de préférence auprès de son ambassade. Aujourd’hui, je paie ces erreurs! Et mon fardeau pour chercher à prouver notre innocence s’est alourdi. »

Au cours des 8 années durant lesquelles il est resté derrière les barreaux sans avoir été jugé, Israel a présenté des centaines de preuves en sa faveur. De 2008 à 2009, il a confié sa défense à l’avocat Alejandro Cortés Gaona. Quand le procès a été arrêté, il a décidé de se défendre lui-même, et a ensuite accepté un avocat commis d’office qui est resté à ses côtés depuis.

En janvier 2009, son transfert à la prison de sécurité maximale « Altiplano », dans l’état de Mexico, a été ordonné, justifié par le fait qu’il était un individu hautement dangereux, en dépit de constants rapports de bonne conduite. En 2010, alors que la presse enquêtait sur son affaire et que la version officielle sur le groupe de kidnappeurs était en train de perdre en crédibilité, Israel a été accusé de l’enlèvement d’une autre victime : un individu du nom de Shlomo Segal, qui avait été enlevé sept ans plus tôt.

En mars, on lui a accordé un changement de lieu pour son procès, afin qu’il n’ait pas à faire face au juge Olga Sánchez, qui avait condamné Florence Cassez et rejeté toutes les preuves qu’il avait présentées, les jugeant « légères et inadmissibles ». Son dossier a fini entre les mains d’un juge de Toluca. L’opportunité pour lui de se défendre s’est alors présentée.

Guadalupe Vallarta s’est mise à trouver tous les témoins potentiels qui auraient pu fournir la preuve de l’innocence d’Israel. « Certains sont venus, mais d’autres ne l’ont pas fait, parce qu’ils avaient été menacés par les Fédéraux », raconte-t-elle.

Ángel Olmos Morán et Alma Delia Morales avaient toujours les clés du ranch, situé près du petit restaurant fast-food à Topilejo. Ángel tondait la pelouse de la maison d’Israel, et il les autorisait à utiliser le jardin pour leurs fêtes. « Nous y allions n’importe quand », raconte le couple, assis dans leur restaurant sur le bord de l’autoroute. Quelques jours avant le coup monté, Ángel a rangé ses outils dans la cabane. « Il n’y avait rien là-bas », disent-ils. Ils sont allés répéter ce témoignage devant la cour à trois reprises.

Mónica, une autre voisine, a observé comment les agents de l’AFI, la nuit du 8 décembre, sont venus au ranch et ont organisé les meubles avant l’arrivée des journalistes. En 2006, au tribunal, ces témoignages ont énervé Luis Cárdenas Palomino, le membre de l’AFI que l’on voit guider les journalistes sur les images. Il est allé voir Ángel et l’a menacé : « Nous pouvons toujours ajouter d’autres personnes dans la bande de kidnappeurs ». Ángel et Alma n’ont pas cédé : « Nous disons la vérité, et nous continuerons à le faire à chaque fois qu’elle nous sera demandée. »

Guadalupe Vallarta décrit le comportement des Fédéraux pendant ces auditions : « Ils étaient très arrogants, ils menaçaient les témoins en les retenant prisonniers, ils nous faisaient des gestes indécents et nous suivaient dans la rue. Pour éviter cela, Israel a expressément demandé au juge d’assister aux auditions, mais il a refusé. »

A ce moment-là, Guadalupe avait la sensation qu’ils se rapprochaient d’elle. Une des victimes a mentionné qu’une boucle de cheveux blonds sortait de la cagoule de la femme qui l’avait kidnappée. Durant les auditions, quelqu’un a dit que cette description correspondait plus à Guadalupe qu’à Florence. Guadalupe risquait de se faire arrêter. « Cela m’a blessée, mais c’était tellement incohérent que c’était une preuve que tout ceci n’était rien de plus qu’un grotesque coup monté. »

Guadalupe essayait de se battre en gardant la tête froide; elle se retranchait dans les dossiers pour y trouver contradictions, indices et hypothèses. « Ils n’avaient jamais imaginé que nous nous battrions autant. Ils pensaient que nous resterions silencieux ». En représailles, l’AFI a tenté d’accuser Alejandro Mejía Guevara, un homme avec lequel Guadalupe avait eu une relation amoureuse plusieurs années auparavant. « Ils en ont fait une telle affaire, mais en réalité il n’y a aucune enquête cohérente. C’est seulement après l’arrestation d’Israel qu’ils ont fabriqué des preuves pour accuser des personnes de faire partie du groupe de kidnappeurs et pour justifier la façon dont l’AFI s’était introduite au ranch. »

Quant au témoignage de Valeria Cheja, la jeune femme qui, au début du mois de décembre 2005, aurait conduit l’AFI à Israel Vallarta, Guadalupe dit : « Ils l’ont utilisée pour accuser Israel, en faisant croire qu’elle l’avait reconnu par hasard dans la rue et qu’elle l’avait identifié comme étant son kidnappeur. » Israel a démontré qu’il était à Guadalajara à la date de l’enlèvement de Valeria, en août, et qu’il ne portait pas de barbe, contrairement à ce que la jeune femme avait affirmé, fournissant comme preuve la demande de visa qu’il avait faite ce jour-là au consulat des Etats-Unis de Guadalajara. Cependant, cet enlèvement, ainsi que d’autres, qui comme par hasard avaient tous pour point commun de relever de la responsabilité d’Eduardo Margolis, ont été attribués à la bande de kidnappeurs dont Israel Vallarta était censé être le chef.

Un autre indice mène aux frères José Fernando et Marco Antonio Rueda Cacho. Dans leurs premières déclarations, plusieurs victimes d’enlèvement les accusent, sans mentionner Israel et Florence. Au début de l’enquête, des mandats d’arrêt ont été émis contre eux, mais ils n’ont jamais été exécutés. Au cours d’une interview, un ancien officier de police qui avait enquêté sur le groupe présumé de kidnappeurs « Los Zodiaco » a dit qu’il considérait que ce groupe n’existait pas, et que les frères Rueda Cacho étaient responsables de certains de ces enlèvements. « Ils sont les rois du crime à Iztapalapa. Ils ont 15 lignes téléphoniques chez eux. Mais toutes sont protégées. »

Selon la version officielle, la bande de kidnappeurs « Los Zodiaco » était uniquement constituée d’Israel et de Florence, mais les incohérences de l’enquête ont été mises en lumière, et les pressions diplomatiques françaises ont atteint leur paroxysme en 2009 : un juge a ratifié la condamnation de Florence Cassez, le président Nicolas Sarkozy s’est rendu à Mexico au mois de mars de la même année, et il a demandé avec insistance son transfert en France, invoquant le traité de Strasbourg, qui l’aurait autorisée à purger sa peine en France.

« C’est précisément à ce moment-là qu’ils ont commencé à nous surveiller. Ils se garaient devant notre maison », raconte Yolanda, la deuxième des neuf enfants de la famille Vallarta. Elle est ensuite allée vivre à Iztapalapa, dans la maison de Guadalupe, avec son fils Juan Carlos. Le fils de René, qui porte le même nom, se souvient de cette période : « Des policiers allaient au garage de mon père et prétendaient être des clients. Innocemment, mon père disait qu’il n’avait pas peur d’eux, et qu’il ne se cacherait pas parce qu’il n’avait rien fait de mal. »

Le 9 mai, des hommes cagoulés et habillés de noir pour certains, ou habillés en civil pour d’autres, qui étaient arrivés à bord de camions non immatriculés, ont pénétré par effraction dans le garage de René, alors âgé de 54 ans, et l’ont enlevé, ainsi que 2 de ses neveux, Juan Carlos et Alejandro Cortes Vallarta, alors âgés de 40 et 38 ans. Jorge Sr., qui était présent au moment des faits, avait une arme pointée sur lui. Gloria, la mère, alors âgée de 77 ans, a été forcée à soulever sa jupe pour recouvrir son visage, afin de l’empêcher d’assister à la scène. « Des officiels corrompus sont déjà en train de mettre leurs menaces à exécution afin d’impliquer ma famille, pour la simple raison qu’ils me défendent », a écrit Israel dans la lettre qu’il nous a envoyée juste après avoir été capturé.

David Orozco, un témoin qui dit avoir été torturé, affirme qu’ils étaient impliqués dans les enlèvements avec Israel et Florence. Les victimes les ont incriminés. Cristina Ríos les a accusés de l’avoir violée à plusieurs reprises. Cependant, les proches d’Israel ne se sont jamais cachés, et ils ont toujours été présents lors des auditions pour le procès, durant lesquelles les victimes ne les ont pas identifiés.

En 2011, un juge a admis les contradictions de l’affaire, et a rejeté les témoignages de Cristina Ríos et de son fils Christian, mais les accusés sont toutefois restés emprisonnés, dans la prison de sécurité maximale de Tepic, Nayarit, pour l’enlèvement d’Ezequiel.

Se basant sur cette décision, Felipe Calderón a rejeté la demande de transfert de Florence en France. Plutôt que d’entrer dans des conflits diplomatiques, le président Mexicain voulait surtout obtenir, grâce à cette décision, un avantage électoral pour les élections au congrès de juillet 2009.

En 2011, la famille Vallarta était dévastée par le décès de Mme Gloria. Elle s’était beaucoup impliquée dans la défense de ses enfants et petits-enfants, assistant à toutes les instances officielles pour dénoncer les abus, tortures et menaces.

En avril 2012, lorsque la Cour Suprême était en instance de délibération pour la libération de Florence, un autre imprévu est survenu. Mario, le frère d’Israel, âgé de 48 ans, et Sergio Cortés Vallarta, un autre neveu, âgé de 34 ans, ont été arrêtés et emmenés à la prison de sécurité maximale de Puente Grande, à Guadalajara. A cette période-là, les médias ont diffusé une déclaration de Mario, dans laquelle il avouait faire partie d’un groupe de kidnappeurs avec Florence et Israel. Cette déclaration n’existe pas; elle ne figure pas dans les dossiers. Mario et Sergio sont accusés d’avoir commis d’autres enlèvements que ceux dont les autres détenus sont accusés. Mario a été identifié comme étant le chef de l’organisation, alors que ce rôle avait déjà été attribué à Israel, Florence, et, plus tard, René. Le fait que ce soit les 2 frères d’Israel qui s’asseyaient en face du SIEDO en 2005, dans l’attente de nouvelles de leur proche emprisonné, qui aient été accusés est également frappant.

La famille Vallarta a passé, au total, vingt-cinq années en prison. Les opinions médicales du PGR ont montré que six d’entre eux ont été torturés. Trois d’entre eux, René, Juan Carlos et Alexander, ont été soumis au protocole d’Istanbul, qui a établi l’existence d’un traumatisme consécutif aux actes de torture. Guadalupe se souvient de son frère Mario : « Quand je l’ai vu, le jour suivant son arrestation, la peau de son dos était à vif, et il convulsait. Ils avaient fait éclater ses tympans. Il refusait d’être emmené à l’hôpital, parce que les officiers de police lui avaient dit que, parfois, ils poussaient l’anesthésie trop loin. » En février 2007, ils ont lâché un chien dans la cellule d’Israel. Les morsures étaient profondes, mais on lui a refusé toute assistance médicale. Il s’agissait d’une punition pour avoir rapporté les menaces et les abus précédents. Quand il essayait de communiquer avec des journalistes, ils le punissaient en le privant de visites et d’appels téléphoniques pendant plusieurs mois.

En mai 2009, lors d’une interview, Luis Cárdenas Palomino a nié catégoriquement l’existence du rapport du CNDH qui attestait des actes de torture subis par Israel : « Aucun acte de tortue n’a été prouvé. Rien, rien, rien! ». Sur les images de télévision, on voit le même officier de police serrer le cou d’Israel, qui se tord de douleur, pour le forcer à avouer l’enlèvement devant les journalistes.

Alejandro et Juan Carlos Cortés Vallarta sont dans l’attente d’une décision concernant l’enlèvement d’Ezequiel. Leurs dossiers sont pleins de lettres de recommandation de leurs anciens employeurs, prouvant qu’ils n’ont pas un profil de criminel. Alejandro se trouvait à Akumal, Quintana Roo, en octobre 2005, au moment de l’enlèvement. Il travaillait à la construction d’un hôtel, comme l’inspection judiciaire, qui s’était rendue à la Riviera Maya, en avait attesté. Lorsqu’il était emprisonné, en 2009, sa femme, Ana Irma Luna, était enceinte : « J’ai fait une crise tellement grave que j’ai accouché de façon prématurée. » Juan Carlos est avocat, et au moment de l’enlèvement d’Ezequiel, il travaillait pour le groupe Plateros, qui organise des évènements pour le gouvernement. Pour Yolanda, l’emprisonnement de son troisième fils, Sergio, a été le coup de grâce : « Au tribunal, des policiers se moquaient de moi, et me disaient que même si Alejandro et Juan Carlos étaient libérés, ils auraient encore Sergio. »

Pour la famille Vallarta, cette parodie de justice avait atteint un tel stade qu’ils devaient assurer eux-mêmes leur propre défense, après que leurs avocats, convaincus qu’ils pourraient profiter de la défense de quelques kidnappeurs prospères, leur aient fait endurer de multiples arnaques et abus. Lorsqu’ils ont épuisé leurs ressources financières, même après avoir vendu leur propriété, et après que les avocats de la défense leur aient fait faux bond, déçus par la maigre fortune que leurs clients malchanceux avaient accumulée, des avocats d’office leur ont été assignés. A ce jour, René est le seul à avoir conservé un avocat privé. « Florence avait le soutien de son gouvernement. Mais nous, qui nous aide? », dit son fils, désespéré.

Le groupe de kidnappeurs « Los Zodiaco » semble être une organisation fictive que les autorités ont créée à leur convenance. Dans sa lettre aux médias, Israel affirme que ces autorités « constituent le véritable crime organisé avec une insigne, qui au cours des dernières années a causé tant de tort au Mexique ».

La décision de la Cour Suprême de relâcher Florence a causé de vives émotions dans la famille Vallarta; Israel était très heureux pour elle, et il est convaincu que cette résolution de l’affaire lui profitera aussi un jour.

Mais certaines personnes continuent de les incriminer. Une interview de Florence a été publiée dans l’hebdomadaire Proceso du 19 janvier, dans laquelle elle cite des extraits d’une conversation téléphonique qu’elle a eue avec Eduardo Margolis après avoir été libérée. L’organisateur du coup monté aurait accusé la famille Vallarta d’être une « famille de kidnappeurs ». Guadalupe répond : « Ce sont de fausses idées qui font leur apparition sept années après qu’il ait assisté aux auditions, au cours desquelles il n’a jamais rien dit qui allait dans ce sens. Nous avons des preuves substantielles qui ont une valeur légale. Cet homme peut dire un millier de choses, elles resteront des affirmations complètement immatérielles. Si Israel était coupable, il n’aurait aucune preuve à présenter, et il aurait déjà demandé à être jugé. »

En France, la presse l’a condamné, déclarant que Florence était tombée amoureuse de « la mauvaise personne ».

Toutefois, cette « mauvaise personne » a encore l’opportunité de prouver son innocence.