Source: En Vero Espagnol
Journaliste: Itzel Loranca
Le 6 avril 2020 (Publication originale en Espagnol le 19 mars 2018)
Traduction: Emily Freele
Note: Nous publions le contenu de l’entrevue menée par la journaliste Itzel Loranca pour SDP Noticias (article daté du 15 mars 2018) sur le cas de Yarold Leyte Quintanar.
Interviewés :
- Giuliana Rojas, membre du comité exécutif
- David Bertet, président du conseil d’administration
Entrevue avec Giuliana Rojas et David Bertet sur l’affaire Yarold Leyte Quintanar
Itzel Loranca : Sont-ils fiables les arguments des autorités dans la décision, qui qualifient de “non-fondés” (feuillet 68) les arguments de la défense de Yarold ?
Giuliana Rojas : Les arguments de la défense ne sont aucunement infondés ; au contraire, les arguments de la défense mettent en évidence toutes les irrégularités de l’enquête. Ce qui est inacceptable et infondé, c’est la position du tribunal de première instance ainsi que celle du tribunal collégial qui ont décidé d’ignorer toutes ces irrégularités évidentes qui sautent aux yeux à la simple lecture des pièces du dossier. Il y a des contradictions quant au moment où les procédures d’enquête ont été prises puisque selon les documents de la procédure, Yarold a été arrêté à son domicile, emmené dans les installations de l’AVI, ses déclarations ont été prises et un examen médical a été effectué. Ensuite, il a été retourné à son domicile pour une inspection oculaire, le tout en l’espace d’une heure et vingt minutes. Cette simple incohérence aurait au moins dû attirer l’attention du tribunal, mais elle a été non seulement ignorée mais aussi attribuée à une simple erreur typographique, et les juges ne semblent pas se soucier du fait que des procédures aussi importantes que l’arrestation et la déclaration préalable n’indiquent pas l’heure à laquelle elles ont été effectuées.
Ces incohérences ne sont même pas les plus pertinentes pour le processus. Les preuves d’experts sont complètement contradictoires avec ce que Yarold a déclaré dans ses aveux forcés. Les experts de la défense et du ministère public sont arrivés à la conclusion claire que les événements ne se sont pas produits comme l’a rapporté Yarold dans sa précédente déclaration. La cause de la mort et le lieu des événements déroulés sont complètement différents de ce que Yarold a indiqué. Malgré cela, il a été décidé de condamner Yarold au motif qu’il aurait menti dans ses aveux pour faciliter sa défense, en se basant simplement sur ses aveux forcés et en fermant d’autres pistes d’enquête qui auraient pu faire la lumière sur la véritable manière dont les événements se sont produits.
IL : Dans le feuillet 90, les autorités indiquent que l’expertise juridique et le comportement procédural de la défense sont à l’origine des lacunes du processus initial. Ces observations des autorités sont-elles valables ? Ont-ils outrepassé leurs commentaires ?
GR : Je pense que se concentrer sur les erreurs qui auraient pu être commises par la défense au début du processus n’est pas transcendant et ne contribue pas à l’objectif final qui est d’arriver à la vérité historique dans ce crime particulièrement macabre commis contre María Teresa Gonzalez. Il suffit de lire le dossier pour arriver à la conclusion que la procédure suivie contre Yarold a été complètement irrégulière. Il est inacceptable que le tribunal collégial ait concentré une partie de ses arguments sur la mise en évidence des prétendues erreurs de la défense à un stade très précoce du processus, et qu’au contraire les très graves erreurs commises par la partie chargée de l’enquête soient ainsi minimisées et essentiellement excusées sous le prétexte de simples erreurs de frappe, comme le prétend le tribunal collégial dans sa décision, alors qu’en réalité ces erreurs démontrent un manque de rigueur de l’enquête.
Nous devons nous concentrer maintenant sur le fait que l’enquête sur la torture devrait être menée de manière approfondie et impartiale, car prouver l’existence de la torture sapera toutes les autres preuves circonstancielles dans le processus, puisque la détermination de la responsabilité est basée sur la déclaration forcée de Yarold.
IL : ”L’importance fondamentale” que les autorités attachent aux aveux de Yarold (feuillet 81) n’est-elle pas affectée quant à sa véracité par les allégations de torture ?
GR : Il n’y a aucun doute que c’est le cas. Toute la théorie de la culpabilité de Yarold est basée sur ses aveux, et non seulement cela, mais aussi le tribunal de première instance et le tribunal collégial ont décidé sur la base d’un critère qui est totalement à l’opposé du principe in dubio pro reo, en considérant ces aveux comme un tout divisible, les deux tribunaux ont décidé de ne prendre en considération dans leur décision que les parties qui sont préjudiciables à Yarold et non celles qui lui sont favorables. Ils n’ont pas pris en considération non plus le fait que cette déclaration contient des éléments qui remettent en cause l’authenticité de l’aveu même et la légalité de la manière dont il a été obtenu. Ce qui précède est en contradiction totale avec les principes fondamentaux qui inspirent le droit pénal et les droits de l’être-humain, tels que le principe in dubio pro reo et la présomption d’innocence.
Ce qui est encore plus inacceptable, c’est que ce n’est que maintenant qu’une enquête est ordonnée sur la torture subie par Yarold il y a six ans. Les autorités mexicaines avaient l’obligation d’enquêter sur ces événements au moment où ils ont été dénoncés par Yarold, mais six années d’inactivité totale se sont écoulées à cet égard, six années pendant lesquelles Yarold a été maintenu privé de sa liberté et, pire encore, maintenant qu’une enquête a été ordonnée, l’enquête ne sera pas menée par un organe impartial mais par le ministère public, qui a participé à toute l’enquête irrégulière contre Yarold. Il n’y a donc pas beaucoup d’espoir que cette enquête soit menée avec le sérieux et l’objectivité que les faits méritent.
Si les accusations de torture s’avèrent fondées, toute la théorie de l’affaire avancée par le ministère public serait démantelée et les preuves sur lesquelles le verdict de culpabilité a été basé dans cette affaire seraient complètement réfutées. Nous ne doutons pas que ce serait le cas si l’enquête sur la torture était menée de manière sérieuse et objective par un organe totalement indépendant et sans lien avec l’enquête sur l’affaire pénale.
IL : Selon En Vero, considérez-vous comme un développement important le fait que les autorités aient ordonné que les allégations de torture fassent l’objet d’une enquête par le ministère public ? (feuillet 88)
GR : C’est un pas en avant qu’une enquête au moins ait été ordonnée concernant ces événements, mais ce n’est pas un bon signe que l’institution chargée de l’enquête soit le ministère public. Nous considérons qu’il est d’une importance vitale que la torture subie par Yarold fasse l’objet d’une enquête par un organe totalement impartial, le moindre que l’on puisse demander dans ce cas est que l’enquête soit menée par une institution n’ayant pas fait partie à l’enquête contre Yarold, ce n’est qu’ainsi que l’on pourra garantir l’impartialité et l’objectivité de l’enquête, non seulement pour que l’enquête soit menée avec équité et indépendance, mais aussi pour qu’il n’y ait aucun doute sur ses résultats. Si l’institution qui a participé à l’enquête contre Yarold est la même qui enquête sur la torture qu’il avait subie, il y aura toujours une ombre de doute sur ses résultats au cas où ils sont défavorables à Yarold. Pour qu’il y ait une réelle certitude juridique quant aux résultats de cette enquête, il est essentiel qu’elle soit menée par une institution totalement impartiale qui n’a aucun intérêt dans l’enquête criminelle contre Yarold.
IL : Quels sont les recours juridiques disponibles pour poursuivre les efforts visant à obtenir la libération de Yarold Leyte ?
GR : Il existe encore des recours internes qui peuvent être présentés à la Cour Suprême de Justice et nous n’excluons pas de nous adresser à la Cour Interaméricaine des droits de l’être-humain.
IL : Au Mexique, En Vero accompagne-t-elle d’autres affaires similaires en raison de l’insistance avec laquelle les autorités maintiennent la responsabilité d’un coupable fabriqué ?
David Bertet : Merci pour la question. La mission d’En Vero est précisément la suivante : s’assurer de l’accompagnement et du suivi des cas d’injustice dans lesquels nous détectons des pratiques institutionnelles de fabrication de coupables. Le cas de Yarold Leyte Quintanar est l’un des cas les plus emblématiques de fabrication de coupables au Mexique, non seulement parce que dans cette affaire tout un mécanisme institutionnel a été mis en place dès l’étape clé de l’enquête, mécanisme qui a abouti à la condamnation en première instance et à la confirmation de la condamnation en deuxième instance, mais aussi parce que nous voyons dans cette affaire l’ampleur des dommages que telles pratiques, et également les agents de l’État qui les mettent en œuvre, font : dommages physiques (par la privation indue de liberté, la torture encore très fréquente au Mexique) et surtout dommages émotionnels irréparables qui vont au-delà de la victime directe, en l’occurrence Yarold. La fabrication de coupables touche également les proches des innocents injustement détenus, traités et condamnés. La fabrication de coupables détruit les familles. C’est, je crois, l’aspect le plus intolérable de cette triste réalité, et la source de notre motivation qui nous amène à révéler les situations dans lesquelles le système d’administration de la justice parvient à fonctionner à l’envers et à condamner les innocents, au lieu de les protéger.
Les cas que nous traitons en priorité sont ceux qui sont “désespérés”, ceux qui ne bénéficient pas d’une exposition médiatique et ceux dans lesquels d’autres organisations de défense des droits de l’être-humain ne veulent pas s’impliquer, alors que nous, depuis notre siège à Montréal, au Canada, ou depuis d’autres endroits dans le monde où nos bénévoles vivent et travaillent; oui, nous pouvons enquêter de manière indépendante et objective; oui, nous pouvons nous prononcer sur l’innocence des coupables fabriqués, et oui, nous pouvons fournir les éléments de preuve qui ciblent les responsables présumés des pratiques de fabrication de coupables dans des cas spécifiques tels que le cas de Yarold. Au Mexique, nous défendons fièrement les victimes de l’affaire Wallace, une affaire d’enlèvement totalement fausse inventée par la mère des disparus; nous défendons plusieurs des accusés dans l’affaire Martí; et encore plus de 20 affaires très similaires. En outre, notre organisation enquête et accompagne également d’autres affaires dans des pays d’Amérique Latine comme la Colombie, et depuis une date plus récente, au Moyen-Orient.